X comme histoire née sous…
Elles s’appellent Mariette, Louise, Emma, Adèle, Joséphine, ou encore…
Agnese, Franscesca, Gina, peut-être même Xabina...
Quelques prénoms “fictifs” pour vous raconter l’histoire de ces jeunes femmes qui, au début du siècle passé, ont logé chez-nous à Broc, au Pensionnat.
L’histoire de nos
de vos arrière-grands-mères peut-être…
La plupart viennent des environs, Charmey - Cerniat - Montbovon - Albeuve - Vaulruz - mais pas que… Elles nous arrivent aussi d’Italie - Montese dans la Province de Bologne - Parme - les régions montagneuses des Apennins - Frignano près de Napoli - et même un peu plus bas, Lizzano dans les Pouilles.
De belles jeunes femmes, au regard sombre, au teint hâlé.
Toutes ont été embauchées à la chocolaterie, par Louis Alexandre Cailler.
C’est son beau-frère, Jules Bellet, pharmacien de formation - un jeune homme brillant, débordant d’imagination - qui s’en va prospecter le long de la botte. Il frappe à la porte des Évêchés, leur demandant de diffuser sa p’tite annonce via leurs églises, afin d’atteindre la population des campagnes, jusque dans les villages les plus escarpés.
“Un'opportunità per voi signore !
Per lavorare alla fabbrica di cioccolato
"Cailler" a Broc, in Svizzera "
Une annonce en chaire, comme aurait pu le faire
un certain Don Camillo, dans sa Paroisse de Breschello
“Pardon Seigneur, hummm, di dolcezza di cioccolato !”
C’est donc comme ça qu’une foule de petites mains nous arrivent à Broc. Des jeunes filles timides et réservées, surtout celles qui viennent des régions montagneuses, embarrassées par leurs vêtements larges et colorés. C’est ce que l’on peut lire dans les archives, une description de leur mode vestimentaire, qu’elles devront bientôt abandonner pour une tenue plus adaptée chez Cailler.
Une pension pour les jeunes ouvrières célibataires de la Gruyère, qui ne peuvent rentrer chaque soir à pieds jusque chez-elles ; un toit aussi pour toutes les autres qui n’ont pas le choix que de rester là
“le Signorinella”
Une sorte de responsabilité morale, afin d’éviter qu’elles ne soient embrigadées
“Dieu sait où” dès leur arrivée…
Des pensions disséminées un peu partout dans la région, pas toujours très recommandables, où l’on ne s’occupe pas vraiment d’elles, des jeunes filles mineures livrées à elles-mêmes.
Ainsi, nos deux compères et associés Jules Bellet et Alexandre Cailler inaugurent ce nouveau bâtiment le 6 octobre 1902, confiant les clés à une congrégation religieuse, Soeur Prudence nommée Directrice.
Des locaux vastes et bien éclairés, meublés avec goûts, avec une touche de féminité que l’on reconnait en Louise Bellet, l’épouse de Jules, d’origine mexicaine, dont personne ne parle jamais, ou si peu… Mais qui pourtant pourrait bien en être l’investigatrice.
La gardienne de ces demoiselles.
On la présente comme une vraie “Dame de Coeur”, philanthrope et généreuse.
Une femme qui hélas, vivra des instants difficiles…
Mais, revenons-en pour l’instant à nos jeunes filles.
Au home, elles sont 170 réparties dans des dortoirs à 30 lits.
Avec seulement un rideau qui les sépare des huit bonnes soeurs chargées de les surveiller ! Mais après une journée de 11 heures dans les différents ateliers de l’usine, pliage, moulage, conchage, 55 heures par semaine + 9 heures le samedi, on imagine qu’elles ne tardent pas à s’endormir…
Joséphine, Gina, Adèle, Emma et Xabina
Chaque soir, après avoir épluché les légumes et s’être occupées du ménage,
on leur enseigne aussi les règles élémentaires
discipline, ordre et propreté
vertu et prières…
Peu de loisirs et beaucoup d’interdits !
Pas question par exemple de s’éclipser un soir de Bénichon pour aller danser,
sous peine de se faire renvoyer !
Ah Sr Prudence, vaut mieux l’avoir dans sa manche…
C’est d’ailleurs elle, Soeur Prudence, qui perçoit les salaires directement de l’usine, prélève les pensions, 80 centimes par jour, pour un salaire horaire de 12 à 13 centimes, et envoie le solde directement aux familles, sans leur laisser miettes, aux filles…
Là elle exagère !
Et si l’on manifestait pour Elles un 14 juin, en rétroactif
auprès de Jules Bellet et ou sa femme
Hélas entre temps, en mai 1904, son mari Jules meurt de la fièvre typhoïde, alors qu’il revient tout juste d’un voyage en Palestine, il n’a que 38 ans... Un départ foudroyant qui créera beaucoup d’émoi.
A Broc, on lui dédiera une rue, la Rue Jules Bellet que l’on connait.
Un coup terrible pour Louise, qui s’en ira vivre à Lausanne, avec toujours cette même empathie, ce même élan du coeur. Elle n’hésitera pas par exemple, à préparer des repas chez-elle, pour les personnes défavorisées de son quartier, à Ouchy. Plus tard, en 1916, elle achètera une grande maison, la villa du Servan, afin d’accueillir une cinquantaine de garçons, réfugiés de guerre. Un orphelinat, une Fondation à leur nom, qui existe toujours, d’où ce portrait.
Quant au home de Broc, il fera l’objet de nombreuses critiques… Un mouvement de gauche criera même à l’exploitation de ces jeunes filles, “des fillettes” dira-t’on, “expédiées à l’usine de Broc pour une bouchée de pain, avec la complicité des Consuls italiens ! ” Un article paru dans le journal “L’Impartial” du 28 octobre 1904. Des esprits qui s’échauffent lors d’un rassemblement à Bulle, où le curé de Broc n’hésite pas à grimper sur la table, face à ces accusations…