F comme Francine

Elle a grandi sous le clocher de l’horloge la p’tite Francine, franchi le portail, joué dans la cour du château, accompagné sa mère sous le préau, des lavandières.

Eté comme hiver, elle a aussi promené le chien roux de Mme Morier, la disquaire. Une si gentille dame qui tenait boutique juste à côté du Louvre et qui lui offrait à chaque fois un vinyle en plus de ses honoraires, deux francs par balade, pas mal !

“ C’est que l’animal n’était pas facile, Grrrrrr… J’vous dis pas le peigne !”.

Elle s’ empressait alors de rentrer chez elle, filer dans sa chambre pour écouter le dernier tube d’Herbert, sous l’aiguille grésillante de son pick-up. Un 45 tours qu’elle a toujours, quelque part… Trop bien rangé pour le retrouver ! Rescapé des années yéyé…

Herbert Pasquier, le fils du boulanger du Pâquier, prônant au côté d’un certain Johnny, l’indétrônable idole, toujours n° 1 au jukebox de son mari, futur… Un Michel aux cheveux longs et pattes d’éph !

Souvenirs, souvenirs…

Mais le saviez-vous ?

Qu’il existait à Bulle, un bâtiment appelé « Louvre », juste en face du Tilleul ?

On aurait pu y accrocher le cadre doré de notre Mona Lisa !

Sauf que…

“ Les Galeries du Louvre “

Une illustre enseigne déjà présente à Bulle au début du 20ème siècle,

 sauf qu’il s’agissait d’un magasin de confection.

On y venait les jours de marché, au gré des saisons, pour un p’tit  jupon, un paletot rayé, un chapeau feutré ou une pèlerine ; sans oublier les beaux draps blancs que l’on achetait au rabais.

Dans les années 60, 1960, c’était une boutique de lingerie, se souvient Francine, une bonneterie-corsetterie ; mais un peu plus tard le bâtiment sera démoli, disparu aux oubliettes, tout comme le local des pompiers, la quincaillerie Desbiolles et le magasin Truffat tenu par une dame si vieille…  

Décidément lorsque l’on est enfant on voit la vie et les gens tout autrement, d’un autre œil, même qu’on en a deux, d’yeux :) Francine en connait un chapitre sur le sujet, elle qui a travaillé si longtemps chez un ophtalmologue, elle vient tout juste de prendre sa retraite, une perle !

Béret noir et foulard jaune ajustés, la voilà maintenant qui prête serment

“aux Petites Ailes ” le groupe des éclaireuses bulloises.

Les petites ailes prêtent la main,

les petites ailes regardent vers Plume grise et écoutent sa voix,

les petites ailes ne se disputent jamais et s’aiment comme des sœurs”.

Telles sont leurs lois, leurs devises.

Trop chou ! Le temps de l’insouciance et des règles de grammaire - de bijoux à poux - la cour de récré et les camps de vacances. Cette année-là, elle aura la chance de partir avec cheftaine et envolée, pour trois semaines à Saas Fee.

Oui, parce que chez les Suëss, les vacances on n’y songe même pas, juste inimaginable lorsque l’on a un commerce pignon sur rue.  Ursus Victor son papa tient la boucherie au “Passage de l’Union” ou plutôt “Ruelle de la porte d’En-Haut”, alors vous l’aurez compris, le travail ne manque pas.

Tous les midis à l’étage, c’est la grande tablée avec les employés, garçon-boucher, apprenti, vendeuse, aide au ménage. Tous adorent la taquiner la gamine, si unique avec ses p’tites boucles à l’image de Canisia sa maman. Une dame si avenante, toujours sur son trente-et-un pour accueillir les clientes qui déjà se pressent le long du trottoir ; l’heure de reprendre du service et retourner en classe.

C’est Rose-Marie qui l’y emmène, l’aînée des quatre soeurs Menoud, venues tour à tour s’occuper d’elle. Des jeunes filles que Canisia ramène chaque samedi jusque chez-elles à la Joux, avec sa “Daf variomatique” de couleur grise, coupée sport. Toute une épopée ! De plus, une voiture automatique…

Et puis arrive la fin de la journée, lorsque son père referme la porte de la boucherie

et l’emmène avec lui au Café d’en face, à l’Union, regarder la télévision.  

Son instant préféré, elle adore Francine

Belle et Sébastien ou, les Aventures de Saturnin, en noir et blanc…

Mais la voilà déjà qui disparait, sans que personne ne s’en aperçoive.  

Elle se sent pousser des ailes, avec au coin des lèvres,

son p’tit sourire énigmatique…

On aimerait être une mouche afin d’la suivre au bas de l’escalier.

Et hop ! la dernière marche !

L’ endroit est lugubre et mal éclairé, avec une seule ampoule accrochée aux toiles d’araignées…

Mais rien ne l’arrête, elle contourne le boutillier, s’achoppe aux sacs de charbon. Aussi vite qu’elle le peut, se faufile à travers les bas-fonds pour rejoindre…

L’autre côté d’la rue, sa maison

Défi Réussi !

Elle franchit la porte côté château, là même où se trouve le grand lavoir, aujourd’hui disparu. Décidément elle n’a peur de rien cette enfant !

Mais permettez que je m’interroge…

L’aurait-elle fait si elle avait su qu’autrefois, le café d’en face s’appelait…

Auberge de la MORT” !!?!

Quelques années plus tard, avec l’arrivée de la “Banque populaire”, ces fameuses caves ne seront bien entendu plus du tout accessibles, transformées en coffres forts, infranchissables sous peine de s’attirer…

La Moooort !!!  

Essayez donc pour voir…

Un jour pourtant, un audacieux s’y était risqué à dérober le trésor, non pas de la Banque mais, de la boucherie, plus petitUne histoire que nous garderons secrète, même si aujourd’hui ce filou est probablement… Moooort !  

Mais, dis-moi Francine, juste avant de terminer, Il me reste encore une énigme à élucider, à savoir d’où vient ce clocheton juste en-dessus de ta maison ? Un privilège dis-tu ? Non ??!

Un fait historique qui remonte à l’an 1836, lorsque l’Assemblée générale des bourgeois de Bulle envisage démolir la Porte-d’Enhaut; une des entrées médiévales de la ville devenue si étroite et dangereuse les jours de foire…

L’horloge et la cloche du tocsin sont alors déplacées

chez toi Francine !

Voilà pourquoi…

Derniers vestiges d’un passé que nous venons tout juste de ressusciter !

Il est 15h29 au clocheton, passage de l’Union. Peut-être, est-ce jour de marché ? En tous les cas, on y attend clients…

De la quincaillerie Desbiolles, le long de la rue à droite, au Bazar gruyérien dont on devine les lettres, rière le tas de bois, à gauche.

La prochaine fois que vous passerez par là, jetez y un oeil, ou même les deux…

C’était chez Francine !

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